Le 2 août 1914
Farouchement républicain mais absolument neutre sur le plan religieux, monsieur Bloch sut faire naître en moi l’amour de la patrie. J’étais fier d’appartenir à ce pays dont l’histoire, remplie d’hommes prodigieux et de retentissantes citations me passionnait…
La défaite de 1871 me faisait rager, et j’avais la bonne oreille pour qui parlait de vengeance.
C’est dans cet esprit que j’appris, avec joie, la déclaration de guerre, le 2 août 1914. J’avais 12 ans. Je venais d’avoir mon certificat d’études. Quand sonna le tocsin, seul moyen pour annoncer les catastrophes, je me baignais avec mes camarades dans la petite rivière, au lieu-dit Pont-men. Quelle course vers le bourg pour voir la fameuse affiche « mobilisation générale » ! Devant la foule consternée des femmes et des vieillards, nous avions la pudeur de nous taire, mais qu’elle verve ensuite pour envisager cette guerre à notre façon ! Nous parlions d’une France invincible ! … Nous allions donc assister à une revanche éclatante, à un nouvel Austerlitz ! Quelle aubaine pour l’écolier que j’étais ! …
Chaque jour j’assistais au départ des hommes qui embarquaient dans le train, déjà presque plein, venant de Douarnenez, et se dirigeant vers Quimper…scènes délirantes ! Toute la population acclamait les futurs héros. Ceux-ci, stimulés dans leur ardeur patriotique qui était réelle, par des libations inévitables, proféraient les pires menaces contre l’Allemand (l’appellation « boche » n’est venue qu’après : « A Berlin… A Guillaume II… » Ils devaient couper pas mal de choses, chacun voulant en être l’auteur… Un grand silence succédait à chaque départ. Sur le chemin de la gare au bourg, c’était le triste défilé des mères, des épouses, des fiancées, qui donnaient libre cours aux larmes que beaucoup retenaient devant les leurs.
Pendant les premiers jours de cette guerre, nous n’avions que de vagues nouvelles. Dans ce pays, les journaux étaient rares. Nos armées battaient en retraite, les Allemands étaient aux portes de Paris, mais jamais l’idée que nous pouvions perdre cette guerre ne m’effleura ! »
« Un matin, en arrivant en classe, nous pûmes lire sur le tableau noir cette phrase « Le sergent Salm est un brave. ». Ce Salm, pour le distinguer des autres Salm de la commune, était familièrement appelé « ar sergent » parce qu’il le fut effectivement pendant son service militaire. C’était un bon père de famille exerçant le métier de tailleur de pierres. Cité à l’ordre de son régiment pour un acte de bravoure, le journal publia la citation. Cette phrase en tête du tableau pendant plusieurs jours m’exaltait, à tel point que j’enviais son fils aîné qui était alors dans la classe enfantine. Un peu plus tard, une citation analogue, inscrite au tableau également, concernait le sergent Nedelec, patron de la ferme de Kerjoret. Les enfants du Juch se distinguaient… nous en étions fiers. Que n’aurais-je fait pour pouvoir ainsi figurer au tableau noir ? »