Les textes qui suivent sont extraits d’un manuscrit de Pierre Hascoët :

Pierre HASCOET

Mathurin, mon frère, partit le quatrième jour rejoindre Nantes d’où quelques jours après il rejoignit la zone des armées, car étant de la classe 1909, il venait de faire son régiment deux ans auparavant dans la C.A.O. à Paris. Yvon de la classe 1912 à la mobilisation avait fait un an de caserne au 71 ème d’Infanterie à Saint-Brieuc, donc il était bon pour aller prendre les premiers contacts avec les Allemands… »
Départ : « Sur treize qu’on était du Juch à se présenter, il y eut cinq de pris. Je faisais partie de ces cinq. J’eus le temps de respirer un peu avant de recevoir mon ordre d’appel. Je n’étais pas très pressé non plus car toutes les semaines on entendait parler soit de quelqu’un de tué ou de blessé ou encore de fait prisonnier… »
Souffrances : « Si froid qu’on avait aux pieds en remuant un peu on se réchauffait tant soit peu, quoiqu’il y en ait qui étaient évacué pour les pieds gelés et c’est très douloureux à ce qu’il paraît. Malgré cela j’en ai vu rester des nuits entières dans l’eau jusqu’aux genoux sans bouger pour le lendemain matin avoir les pieds gelés afin d’être évacués. Ils préféraient la souffrance atroce des pieds gelés à cette vie des tranchées et dire que souvent tout en restant ainsi toute la nuit ils n’arrivaient pas à avoir encore les pieds gelés. C’est dire combien la vie était terrible… »
Mobilisation :  » Mobilisé le 8 janvier 1916 au 65 ème régiment d’infanterie à Nantes jusqu’au 15 octobre date laquelle je passe au 91 ème R.I. jusqu’au 18 février 1917 où je passe au 169 ème R.I. où je dois finir la guerre et la vie militaire, le 25 septembre 1919, date de la libération.

Pierre Hascoët en janvier 1916

La blessure :  » Nous continuons donc à marcher à la file indienne quand soudain je ne vis que du feu defant moi, je fus assommé sur le coup et revenu à moi je sentais le sang qui me coulait du front. Un obus venait de tomber à côté et grâce à mon casque si je ne fis pas ce jour-là un cadavre. J’avais mon casque sur la tête jugulaire au menton et par le choc il fut balancé à terre aussi avait-il une déchirure de dix centimètres faits par l’éclat d’obus. Après avoir ramassé mon casque je saisis aussi mon paquet de pansements que j’avais toujours sur moi et sans le dérouler je l’appliquais sur ma blessure pour me diriger aussitôt sur le poste de secours qui se trouvait à trois ou quatre cents mètres de là car après le choc je ne revis plus aucun de mes camarades. Je croyais même qu’il y avait des morts parmi eux mais par la suite je ne sus qu’aucun n’eut de mal. C’était le 9 septembre 1918… »

La préparation militaire :

Je rejoignis donc la caserne à Nantes pour quelques jours seulement. On nous envoya cantonner à 12 km de là, à Carquefou … Là, on faisait toutes sortes d’exercices en campagne, marche. On avait encore un champ dans lequel on faisait des tranchées avec des sapes ou des abris qu’on recouvrait de rondins de pin qu’on allait prendre à la gare… »
Du côté de Saint-Dizier : « On n’était pas aussi bien cantonné qu’à Nantes, une grange ouverte à tous les vents avec une simple paillasse … Dans un champ où on avait creusé des tranchées dans la boue, on allait souvent faire des simulacres d’attaque avec des grenades inoffensives. Au tir, on allait dans un grand bois situé à gauche de Saint-Dizier. Mon escouade était désignée lorsqu’il y avait tir d’aller se poster en sentinelle dans tous les carrefours autour du bois pour que personne n’y pénètre… »
« … chacun avait un stage à faire sur une spécialité quelconque, soit mitrailleur, fusil mitrailleur, grenadier, canon 37 ou téléphoniste… »
Les permissions : « … et j’arrivais au Juch le jour de Noël au train de 7 heures du soir pour un congé de sept jours qui bien entendu s’écoulaient trop vite quoiqu’on tâchait de rabioter un jour de chaque bout car la permission datait du jour de l’arrivée à la gare de destination où on nous mettait un cachet dessus à la date du jour et au départ c’était la même chose. Aussi on tâchait de ne la signer que le lendemain de l’arrivée et aussi la veille du départ ; ça nous faisait deux jours de plus. »
 » … à Revigny qui était une gare régulatrice, on était là peut-être plus de mille permissionnaires attendant le passage du train, les uns sur le quai, les autres sur la voie ferrée. Il faisait nuit, le train attendu arriva en gare sans avertissement à une allure vertigineuse qu’une quinzaine de camarades furent pris sous la lourde machine dont cinq furent littéralement écrasés et trois ou quatre autres moururent des suites de leurs blessures. De ma compagnie, il y eut un qui eut les deux jambes coupées. Ce fut une catastrophe dont jamais aucun journal n’a soufflé mot. C’était le 23 décembre 1916… »
Le froid :  » … l’hiver célèbre de 1917 était avec nous car on était en janvier et presque tous les jours, il nous fallait déblayer la route de la neige ou encore la piocher tellement elle était gelée. Les pommes de terre qu’on touchait, les trois quarts étaient gelées. Plus fort le vin du ravitailleur, il fallait défoncer les barriques pour l’avoir, car au lieu du liquide c’était des blocs de glace rouge qu’on nous collait dans le seau et qu’on allait faire dégeler sur le fourneau… »

Attaque en vue :  » …

A la Veuve ce ne fut pas du maniement d’armes mais du maniement d’obus qui nous arrivaient à la gare et qu’un petit Decauville nous envoyait dans les champs et là, on les déchargeait pour les mettre en tas disséminés un peu de tous les côtés afin que les avions ne puissent pas les repérer, on était fin de mars. Et ces obus venaient là en réserve en vue de l’attaque du 17 avril qui se préparait ; car là aussi à la Veuve on construisait une ambulance en baraquements de planches afin de recevoir les premiers blessés. La légion étrangère qui venait pour l’attaque vint cantonner là en même temps que nous. C’était des gens sans gêne qui faisaient peur car c’était à peu près tous des repris de justice. L’un d’eux avait même une tête de boche dans sa musette venant avec lui de son dernier combat. »
Baptême du feu : « … C’était un dimanche après-midi, on creusait une tranchée en plein jour dans un petit bosquet de sapins ; un avion boche nous repéra car aussitôt une pluie d’obus vint nous arroser. Heureusement qu’on avait creusé une certaine profondeur pour cacher notre corps car je vous assure qu’on n’eut pas besoin de nous commander de nous coucher. Il n’y eut pas de mal heureusement mais je commençais déjà à trouver que la guerre n’avait rien d’amusant… »

Refus et révoltes : « …

Ce fut là que le 30 avril la 3 ème compagnie se fit décimer …. En plein jour elle reçut ordre de faire un coup de main c’est-à-dire d’aller faire quelques boches prisonniers. C’était de la bêtise sur un terrain uni sauf quelques trous d’obus par-ci par-là. Le capitaine Pascal, en les voyant partir pleurait voyant qu’ils allaient à la mort mais l’ordre venait de plus haut et il fallut partir et les mitrailleuses les fauchèrent presqu’aussitôt… »
« … à tous les coins de boyaux on voyait inscrit à la craie « la relève ou la fuite ». Il vint bien une division pour nous relever mais elle refusa de monter en ligne et fut renvoyée encore en repos non sans que les meneurs ne furent punis … »
« … Au retour de cette permission, tous les esprits étaient excités chez nous. En ligne ils l’étaient déjà avant mon départ, mais en ce moment je m’aperçus que le mouvement était général. A chaque gare qu’on passait c’était la foire : « A bas la guerre ! Le chef de gare à l’eau ! Vive la révolution ! » enfin un tas d’épithète qui ne faisait pas sourire les civils car à Nantes, le chef de gare, quelques jours auparavant fut si malmené qu’il fallut le transporter à l’hôpital… »
« … le colonel vint à passer et nous faisions la pause le ventre au soleil, alors s’adressant au capitaine Pascal qui n’avait pas froid aux yeux : « Comment Capitaine vous ne faites pas de l’exercice à vos hommes ? » Notre capitaine … répondit tout simplement : « Mon Colonel, mes hommes ont bien travaillé au front et maintenant ils ont gagné le repos. » et là-dessus le colonel partit sans dire un mot.

A Verdun (septembre 1917) : « …

En arrivant en ligne, car des tranchées il n’y en avait pas; nous relevions le 162 ème d’Infanterie, nous recevons un de ces tirs de barrage dont je me rappellerai longtemps et qui fait déjà des morts et des blessés parmi les nôtres et ça provoqua une débandade … Cette pluie d’obus continua ainsi jusqu’au lendemain … »
La soif : « L’attaque était finie mais les bidons aussi étaient vides car la gorge était desséchée par la fumée des obus. Les 2 litres de vin n’avaient pas fait long feu, il y avait déjà deux jours qu’on les avait touchés c’est vrai. Dans la soirée, il avait commencé à pleuvoir, alors on étendit nos toiles de tente pour recueillir un peu d’eau mais il ne tomba même pas assez pour les mouiller … Alors j’endosse les bidons de l’escouade et je pars avec un camarade … pour aller chercher dans un ravin quelconque à l’arrière un peu d’eau … au premier trou d’eau sale dans laquelle venait de passer peut-être une vingtaine, nous nous désaltérons d’une eau beaucoup plus sale que celle qui coule dans les fossés de nos routes… »
« De voir qu’on n’avait encore rien à boire ça ne faisait pas du tout notre affaire. Ce n’était pas la faim mais la soif qui nous torturait. A manger on avait des conserves et des biscuits ; aussi on ouvrait ces conserves de poissons pour boire l’huile et on jetait le poisson. J’en ai vu qui buvait leur urine. C’est assez dire que la soif est terrible… »

Espionnage : « …

Un soir un caporal de la section ayant été faire une commission un peu à l’arrière dépassa les lignes sans que personne ne l’aperçut ; mais pour revenir ce fut autre chose. Les fusils et les mitrailleuses furent braqués en sa direction. Il avait beau crier ; à la fin il dit son nom et on le reconnut à sa voix et il put rentrer … Plus d’une fois les boches, pour espionner ou pour rentrer chez nous, se déguisaient en soldats français pour rentrer plus facilement dans nos lignes. Au début de la bataille de Verdun ne se déguisèrent-ils pas en zouaves pour rentrer dans le fort de Douaumont. De notre côté nous faisions aussi presque autant. J’ai vu aussi pour faire des reconnaissances par temps de neige mettre des blouses blanches… »

Citations : « …

le régiment eut sa première citation à l’Armée ainsi conçue : Ordre N° 958 de la 2 ème armée. Sous l’ardente impulsion de son chef le lieutenant-colonel Jacob a abordé le 8 septembre 1917, une position fortement organisée, l’enlevée de haute lutte, a atteint tous ses objectifs, faisant plus de 200 prisonniers. Contre-attaqué violemment, a brillamment repoussé toutes les tentatives de l’ennemi. A subi ensuite pendant cinq jours un bombardement ininterrompu sans rien perdre de son moral. Attaqué de nouveau le 14 par des troupes fraîches et supérieures en nombre, a donné la preuve de son incomparable énergie et de sa ferme volonté de vaincre en trouvant encore, malgré ses pertes, le mordant nécessaire pour maîtriser l’ennemi et lui reprendre intégralement le terrain momentanément perdu. Le 27 octobre 1917. Signé : Général Guillaumat »

Ma première citation

C’est là que j’eus ma première citation, c’est-à-dire la croix de guerre dont voici le texte : Cité à l’Ordre du Régiment N° 340 bis du 22 octobre 1917 ; « Soldat brave et courageux. Remarqué par son entrain pendant le combat du 8 septembre 1917 et pendant la contre-attaque ennemie du 9 septembre, a fait preuve d’endurance pendant la période du 8 au 15 septembre 1917 passée sur une position difficile sans cesse battue par les mitrailleuses ennemies. »
Les poux : « Là on nous laissa deux jours pour nous nettoyer et tuer les totos qui nous dévoraient… »
« … permission, dans le train, on nous laissait de la place avec les civils. Tellement on était sales et quand on ne voulait pas nous céder la place, on faisait semblant de gratter les poux qui non plus ne nous faisaient pas défaut ; car il n’y pas un seul soldat qui est été au front qui n’a pas eu de totos. Prétendre le contraire ce serait un mensonge à moins que ce soit un embusqué de l’arrière qui pouvait se changer quand il voulait et qui avait un lit pour passer la nuit. »

Des volontaires pour aller en équipe agricole :

Au lieu de rester faire l’exercice, je demande à y aller. … Nous sommes à deux dans la même ferme. Le travail n’est pas dur. Les premiers jours on ramassait des pommes de terre, ensuite ce fut des pommes ou encore des noix. En un mot on fit même un peu de tout même charroyer du fumier. Il y avait six chevaux à la ferme et quatorze avant la guerre et ils n’étaient que deux vieux pour la travailler, les deux fils étant mobilisés. »

Les américains : (février 1918)

C’est dans ce secteur qu’on vit les américains pour la première fois, ils étaient intercalés entre nous à petite distance. Ils n’étaient pas froussards. C’est vrai qu’ils n’avaient pas encore eu le temps de se faire une idée de la guerre. Je me rappelle qu’un jour les boches tombèrent dessus pour un coup de main et emportèrent 4 américains. Ceux qui restaient dans la tranchée ne furent pas lâches. Aussitôt ils poursuivirent les boches sur la plaine et parvinrent à ramener leurs prisonniers avec quelques boches mais ils eurent 2 tués en revenant. Ils étaient prodigues les américains. Quand on allait les relever, ils nous laissaient soit du tabac, des bougies, des biscuits, etc… C’est vrai que l’argent ne leur manquait pas étant bien payés du régiment, ils touchaient six francs par jour et nous n’avions que cinq sous. »

Les gaz : « …

Cette vallée n’étant déjà qu’un marécage rempli de trous d’obus sentant le gaz asphyxiant… Au petit jour, on traversa la vallée pour aller sur nos positions mais les boches ayant bombardé la nuit avec des obus. A grande force, nous fut de mettre les masques pour traverser cette nappe de gaz que beaucoup d’imprudents traversèrent sans masque. Mais par la suite leur santé leur fit payer leur imprudence car à l’arrivée en position, on voyait beaucoup qui rejetait tout ce qu’ils avaient dans le coffre. »