Dans cet émouvant courrier

Au recteur du Juch le prêtre-brancardier Pierre Neildé témoigne avec compassion des souffrances et de l’agonie du jeune soldat de 22 ans Yves Le Corre. Celui-ci l’a prié d’écrire à ses parents mais Neildé préfère solliciter le recteur pour cette mission douloureuse :

Yves LE CORRE

23 février 1915

Monsieur le recteur, je me hâte de vous signaler l’arrivée à mon ambulance d’un de vos paroissiens, très grièvement blessé. C’est Yves Corre, domestique à Kélarneuf, je crois, et maintenant soldat au 118 ème. Il a été blessé ce matin d’une balle en pleine poitrine, la balle est ressortie en dessous de l’aisselle, creusant un large orifice, par où le poumon sort et s’étrangle comme une hernie. Le pauvre petit est bien résigné, il repose dans un lit d’une des chambres confiées à ma garde, il a toutes ses connaissances et a paru très heureux quand il m’a vu rentrer dans la salle, mais sa respiration est très pénible. Dès ce matin, il s’est confessé à l’aumônier de son régiment, lui a aussi donné l’extrême-onction… Il m’a prié d’écrire à ses parents mais je préfère avoir recours à votre charité pour leur annoncer la douloureuse nouvelle. Demain, je vous écrirai de nouveau…

24 février 1915

Monsieur le recteur, votre petit paroissien est toujours en vie. Son état est toujours aussi grave, sinon pire, la nuit a été assez agitée, malgré une piqûre de morphine, et même maintenant il ne cesse de tourner et de se retourner sur son lit de souffrance… Hier au soir, j’ai appelé Jean Youinou pour venir le voir. Yves Corre a paru content de sa visite, mais n’a pu guère lui causer, car il était bien suffoqué et bien las en ce moment…

25 février 1915

Monsieur le recteur, Yves Corre s’en est allé vers son Dieu ce matin à 1 h et demie, tout tranquillement, sans secousse, sans presque s’en rendre compte. J’ai fait un petit paquet des menus objets qu’il portait sur lui, ce paquet sera expédié à ses parents. J’ai également commandé à un menuisier du bourg de faire un cercueil pour y déposer son cadavre. il sera enterré dans une fosse particulière sur laquelle je ferai mettre une croix avec une inscription. L’enterrement aura lieu ce soir, à 3 h et demie… »

« J’ai été frappé du bon entretien de toutes les tombes : chacune porte des fleurs qui semblent avoir été variées à dessein. »

Pierre Neildé