Correspondance de guerre : la famille Kéribin
96 cartes de la guerre de Jean Guillaume Kéribin témoignent de la vie dans les tranchées et des combats et révèlent les principales préoccupations des poilus bretons : la santé de leurs proches, la bonne marche des travaux agricoles, le mal du pays et parfois le ras-le-bol causé par une guerre qui n’en finit pas, le besoin de colis avec beurre, lainages…de mandats, de leur foi.
La correspondance du front s’interrompt en septembre ou octobre 1915 pour Guillaume. Il est fait prisonnier et écrira quelques cartes d’Allemagne où il restera près de 4 ans. Il rentrera au Juch en février 1919.
25 avril 1915
« A la Boisselle…C’est là qu’on s’amusait à jeter du tabac dans les tranchées boches et eux nous avaient jeté des paquets de cigarettes, mais à la fin on jouait plus avec le tabac ,c’était les bombes qui tombaient dans les tranchées. » Mars 1915
« C’est le beau temps mais malgré ça le coucou ne vient pas encore nous voir. Il a peur peut-être aussi des sales boches. »
30 mai 1915
« J’ai travaillé de 11h1/2 cette nuit jusqu’à midi aujourd’hui à creuser une petite tranchée devant les boches à 40 m et leurs balles tapaient dans la terre de ma tranchée qui volait dans mes yeux. O preur pehini a garr ahannoc’h (Votre frère qui vous aime) Laou »
« Attaquons a regn a diviziou quenta. Commenset eo bombardi ou tranchiou gant ar hanoliou bras de 220 ou obus a poes 216 livres…An attaq sé a vo gret gant ar 64…a ga ar havalerie. Nouzon quet a eon a halfom don aben eus houtou…nouzon quet pesavar a vo gat an tol…(Nous attaquons les prochains jours. On a commencé à bombarder leurs tranchées avec de grands canons de 220 et des obus de 220 livres. Cette attaque sera faite par le 64 ème… et la cavalerie… Je ne sais pas si nous pourrons les battre ni quand on va passer à l’assaut…) »
Mars 1915
« Mais je pense qu’un jour tous on pourra voir notre pays Le Juch et qu’à l’hiver après la soupe du soir sur le foyer à côté d’un beau feu, je serai à vous raconter l’histoire de mon triste voyage. »
Juin 1915
« Je vous envoie une carte militaire boche que j’ai trouvé après eux dans les abris …J’ai expédié un casque à pointe chez nous mais je ne sais pas s’il ira jusqu’au bout … »
Juillet 1915
« On a fait en tout 70 km … les pieds commencent à l’avoir mauvaise … Il y avait de la troupe anglaise et je vous assure que nous avions à rigoler avec eux, ils m’ont donné 2 chargeurs anglais (cartouches) comme souvenir. Eux autres découpaient nos boutons de nos capotes pour souvenirs. Oui c’est malheureux de voir en ces temps de guerre des hommes qui profitent du malheur des autres … mais ils envoient les autres à se faire casser la gueule pour les défendre de ces maudits barbares et il faut qu’on les paye à de hauts prix pour rester chez eux. Il paraît que ceux qui vont en permission prêchent la révolution, mais il est temps qu’elle arrive alors ! »
Août 1915
« Vous avez donc commencé à couper les récoltes. Comme foin il ne doit plus en rester guère. Les prisonniers boches vont devenir communs par chez nous…Vous avez donc acheté une secoueuse de paille. An diviou ma a vo brezel vraz gant nomm. » (Un de ces jours ça va être la grande bataille)
Août 1915
« Il y a corvée de nettoyage des routes et marche tous les matins. J’aimerais mieux aller travailler sur les récoltes pour donner la main aux pauvres malheureux cultivateurs qui ont aussi leurs siens à la guerre. Mais heureusement par ici ils ont tous des moissonneuses-lieuses…Il faut que je vois ces machines-là à travailler. » Caply (Oise)
Septembre ou octobre 1915
« Hier on avait eu des gaz asphyxiants et je vous assure ça brûlait les yeux et on était tous à pleurer autrement ça ne fait pas grand-chose, d’ailleurs on a des masques et des lunettes … on a aussi des casques depuis un moment mais seulement on ressemble trop aux boches avec eux et dans la nuit dans la mêlée on pouvait aussi bien taper sur les nôtres que sur les boches. »
Sur les 7 frères, 6 ont porté les armes, Corentin a été tué en septembre 1918 dans la Marne, Jacques a été blessé, Guillaume, prisonnier à Minden en Westphalie, reviendra de captivité en février 1919