Depuis le début du XIXe siècle, la Justice s’est employée à poursuivre les guérisseurs traditionnels, particulièrement en basse Bretagne. En étudiant plusieurs procès finistériens, Annick Le Douget éclaire sous un jour nouveau la société rurale bretonne de l’époque.
C’est en 1803 que la loi organise l’exercice de la médecine et le conditionne désormais à l’obtention de diplômes. Il s’agit alors de lutter contre les désordres de la Révolution et les charlatans. Cependant, très vite, ces mesures vont se retourner contre les médecines traditionnelles et populaires, les seules auxquelles ont alors accès une partie de la population bas bretonne. Comme le souligne Annick Le Douguet, jusqu’au milieu du XXe siècle, les départements des Côtes-d’Armor, du Finistère et du Morbihan restent très sous-médicalisés, à l’exception de Brest et Lorient grâce à la Marine et à l’administration pénitentiaire.
Croyances populaires
Depuis des lustres, les Bretons, en cas de maladies, s’en remettent à leurs saints qu’ils ont particulièrement nombreux, la plupart n’étant d’ailleurs pas reconnus par l’Eglise. La maladie est d’abord perçue comme un châtiment divin. A l’occasion de l’épidémie de choléra de 1832, Emile Souvestre écrit que les gens s’écriaient : « Dieu nous a touché de son doigt ! Dieu nous a livré au démon ! » Chaque saint a une spécialité médicinale. On peut également leur faire bénir les chevaux, comme à Goudelin, ou le beure, comme à Spézet.
Quelques uns ont une vocation généraliste, à l’instar de saint Diboan qui préserve de la douleur. Des pratiques religieuses, mais pas toujours catholiques. Ainsi, on croit au pouvoir des pierres, comme les anciennes stèles gauloises, aux formes oblongues, qui sont censées favoriser la fertilité des jeunes femmes. On utilise des grimoires et des livres magiques. Ou l’on fait appel à « Saint-Yves-de-Vérité » pour souhaiter la mort de quelqu’un.
Rebouteux, bandagistes, uromantes
Au XIXe siècle, la Justice commence à lutter contre les pratiques traditionnelles, saisie notamment par les officiers de santé et les médecins qui y voient une concurrence déloyale. Les différents procès, analysés par Annick Le Douget, permettent de dresser un étonnant florilège de guérisseurs plus ou moins sérieux.
Ainsi, les rebouteux se distinguent par une certaine force physique et la capacité à remettre les membres en place. D’autres, comme Yves Tourmen, dénoncé à la Feuillée en 1854, sont bandagistes. Il prétend guérir les hernies grâce à des bandages. Les guérisseurs d’Urlou soignent certains rhumatismes, les problèmes de jambes ou la goutte. C’est particulièrement le cas de la « sorcière de Carhaix ». En 1907, la veuve Merle, âgée de 75 ans, est condamnée pour avoir provoquée une sévère hémorragie sur l’un de ses patients. On trouve aussi des spécialistes de la rage ou, plus étonnant, des jugeurs d’urine. Ces « uromantes » peuvent déceler des traces de diabète, de grossesse ou de problèmes rénaux dans les liquides. Les coupeurs de feu sont spécialisés dans les brûlures.
A côté des guérisseurs traditionnels, Annick Le Douguet relève également la présence de nombreux affabulateurs, particulièrement actifs dans les foires et les marchés. Vers 1850, à Saint-Ségal, un certain « Louis-Philippe » vend du louzoù San Sebastian, « le médicament de saint Sébastien », un mélange d’absinthe et d’anis censé guérir plusieurs maux. En fait, un charlatan. Dans les marchés, on trouve également de nombreux opticiens, plus ou moins sérieux.
Mages et sorcières
Plus inquiétants, on recense également des cas de mages et de sorcières auxquels on prête des pouvoirs magiques, dont celui d’intercéder auprès des puissances surnaturelles. Enigmatique, tantôt bienfaisant ou malfaisant, le sorcier est alors une figure familière dans les campagnes bretonnes. « Mais en tout cas, note Annick Le Douguet, pour la justice, dégagée de tout discours sorcellaire la cause est entendue : c’est simplement un délinquant coupable d’escroquerie, délit puni d’un emprisonnement de un à cinq ans, jusqu’à dix ans en cas de récidive. » Comme l’historienne le remarque fort justement, les procès révèlent surtout l’état d’angoisse et de superstition de la société rurale.
L’ouvrage d’Annick Le Douget
révèle les dangers de ces médecines traditionnelles. Nombre de patients « succombent » aux traitements, d’où les procès. Mais elle relève également le fort soutien dont les guérisseurs disposent dans la population. A plusieurs reprises, les notables prennent parti pour eux et les témoignages en leur faveur sont légion. Quant aux accusés, ils ont beau jeu de proclamer que ce sont les patients qui viennent vers eux et qu’ils refusent d’être payés pour leurs « dons ». Sans être laxiste, la justice se montre d’ailleurs généralement clémente. Au-delà du seul aspect juridique ou médicinal, l’étude d’Annick Le Douget se révèle une passionnante étude sociologique sur la Bretagne rurale des XIXe et XXe siècles.